Les trois maux Français: corporatisme, défiance et irresponsabilité politique (une illustration dans le système universitaire)

En France, il est possible d'identifier trois problèmes qui limitent le développement du pays: la défiance (Algan, Cahuc et Zylberberg, la Fabrique de la Défiance 2012); le corporatisme et l'irresponsabilité politique (de closets, Le divorce Français, 2008). Ces maux engendrent un fonctionnement hiérarchique basé sur la défiance qui s'avère au niveau global bien peu efficace. Ces maux se retrouvent à tous les niveaux et dans toutes les institutions. Je prendrai ici le cas de l'université (dont je connais trop bien les problèmes!) pour illustrer concrètement les conséquences de ces maux. J'essayerai d'en tirer également des solutions qui ont déjà quelquefois pu à petite échelle améliorer le fonctionnement.

La défiance est une des plaies du système Français (voire Européen). Ce sentiment conduit à considérer a priori l'autre comme un possible fraudeur. On édicte alors des règles qui s'appliquent à tous pour éventuellement empêcher la fraude d'un. Pour un possible fraudeur, on ralentit ainsi l'ensemble des individus. Des pages entières pourraient être écrites sur l'absurdité de ces règles dans une université ou au niveau national (la procédure des marchés qui conduit i) à avoir des prix plus cher dans la collectivité que pour un particulier ii) à détruire massivement des emplois dans des petites sociétés Françaises au profit de multinationale souvent étrangères iii) à faire perdre du temps à tous en multiple démarche -règle des 3 devis pour le premier euro-). Ces règles et procédures sclérosent tous les systèmes et les personnes travaillent au final pour appliquer des règles mais pas pour faire avancer le système dans lequel elles travaillent. La "société de méfiance" dans laquelle nous vivons fait que le comportement des citoyens (tel qu'il est perçu par l'administration) doit toujours être plus surveillé et encadré. Les individus non fraudeur pour survivre mettent leur énergie à essayer d'appliquer les règles puis, si ce n'est pas possible ou trop difficile, trouvent des stratégies pour contourner ces règles ce qui en appellent de nouvelles et le système se paralyse. Les fraudeurs eux ne sont pas inquiétés pour autant. On peut éviter de tomber dans ce cercle vicieux, des pays comme les Etats Unis partent à priori avec des notions de confiance mais celui qui triche est durement sanctionné. Mais lorsque on veut appliqué le système Américain en France on oublie trop vite qu'une simple transposition n'est pas adaptée. Ainsi pour suivre l'exemple Américain, en France on a fait miroiter aux universités l'autonomie: ce qui devrait se traduire par plus de liberté et des choix possibles. Mais on a oublié qu'en France la doctrine Jacobiniste (une bureaucratie centralisée contrôlée par des technocrates "Parisiannistes") édictent des règles si nombreuses et contraignantes que l'autonomie ne sert à rien ; les choix se restreignent le plus souvent à une seule possibilité, la même pour tous. L'autonomie n'a été pour l'état que la solution pour se débarrasser de problèmes et au passage de transférer des charges sans donner de moyens supplémentaires. Ce n'était pas la bonne solution pour l'université, l'autonomie ne peut fonctionner sans la confiance !

La solution est d'instaurer la confiance par une meilleure connaissance de l'autre, de ces problèmes et de ces contraintes. Les règles ne doivent pas s'appliquer pour éviter les fraudeurs mais pour permettre un fonctionnement organisé et cohérent du système qu'elles sont censées réguler: il faut introduire de la flexibilité dans ces règles. Il faut multiplier les contrôles (pour pouvoir appréhender les fraudeurs) mais assouplir les règles qui s'appliquent à tous. La règle des marchés publics n'empêchent toujours pas la corruption (des affaires apparaissent toutes les semaines dans les actualités) mais sclérose le fonctionnement public. Au contraire, toute affectation de moyens par l'état devrait être basée sur la confiance envers celui qui sera amené à l'utiliser. Par contre, des contrôles doivent s'opérer et les tricheurs durement sanctionnés.

Le corporatisme est très implanté en France. Cela conduit à former des groupes avec une idéologie collective (limitant la liberté de pensée individuelle) et surtout à développer une notion de défense du groupe établi, du sérail. Un exemple typique, particulièrement bien établi dans les universités, est la Franc-maçonnerie: ce groupe de réflexion se voulant humaniste au départ est devenu au fil du temps un groupe de pression qui cherche à placer ces éléments dans tous les rouages en haut de la pyramide. L'idée est alors de placer des personnes appartenant au groupe. Ce fonctionnement clanique est encore bien présent dans de nombreuses institutions. Par endogamie, ces groupes se déconnectent de la société (c'est- à-dire des individus). Ce comportement corporatiste (ou clanique) renforce un fonctionnement hiérarchique fort pyramidal et une guéguerre permanente entre les groupes et est générateur de défiance. Tout système naturel (corps humains, écosystème, ...) fonctionnant sur ce schéma là serait voué à une disparition rapide car mal adapté à son environnement. Des études montrent que ce schéma semble s'être installé en France dans les années 1950. Combien de temps encore les Français gâcheront leurs temps et de leur énergie dans ce système clanique alors que la solution repose sur une meilleure interaction (constructive) entre les individus ?

La solution est d'enlever le pouvoir à ces groupes claniques et le redonner aux individus. Au niveau politique, cela revient à redonner le pouvoir à la société civile au lieu de le concentrer sur un serail politique déconnecté de la réalité. Au niveau Universitaire, cela doit se traduire par un décloisonnement entre les administratifs / enseignants / chercheurs. Ces différents groupes habitent chacun dans une pyramide et travaillent sans connaître les contraintes de l'autre groupe. Il faut établir des liens entre ces groupes en demandant aux administratifs de faire des séjours en laboratoire et aux enseignant-chercheurs de se déplacer dans les services. Les différents groupes peuvent alors comprendre les contraintes et les problèmes de chacun et travailler en synergie. L'idée de supplémentarité entre individus s'instaure alors: chacun comprend à quoi il sert dans le fonctionnement de l'organisme pour lequel il travaille. La défiance initiale est progressivement transformée en confiance. C'est ce type de solution qu'il faut appliquer au niveau national. Comme discuté dans les livres de Jeremy Rifkin (La troisième révolution industrielle, 2012), il est probable aussi que l'économie verticale (pyramidale) soit remplacée par l'économie horizontale (circulaire) et par des communaux collaboratifs ( à écouter: rediffusion France inter 18h 25/09/2014).

L'irresponsabilité politique: l'absence de compromis. Il est malheureusement presque inutile d'argumenter sur l'irresponsabilité politique tant cela est un sentiment partagé par le citoyen. Il suffit de regarder une séance de l'assemblée pour s'apercevoir que 80 % du temps et de l'énergie consommé par un politique (et qu'il devrait consacrer à son pays) sert à alimenter une guéguerre civile. On a l'impression que la politique repose sur un besoin affligeant de polémique : seul les guerriers de la politique s'affichant comme chef de meute semble pouvoir conserver leur poste et progresser. La guéguerre veut dire également qui faut faire des cadeaux à ses loyaux combattants et chercher à détruire les succès de ses opposants. Cette irresponsabilité tire probablement ces origines de la lutte de pouvoir qui veut que dans des sociétés pas assez civilisées (ou trop médiatisées) la lutte est remportée par ceux qui crient le plus fort, le chef du clan corporatiste. Les générations de politique ont donc assis leur pouvoir en guerroyant et en polémiquant plus fort que les autres. Tout ceci empêche le compromis et la recherche de ce qu'il est le mieux pour le pays. C'est malheureusement un gâchis financier énorme. Les politiques sont généralement bien formé et devrait servir le pays or ils passent un temps important à alimenter des polémiques destructives et annihile le travail responsable que de politiques responsables (1+1 = 0!). D'autre pays comme l'Allemagne ne sont pas dans la polémique mais dans l'action pragmatique et la recherche de solutions. Ne serait ce pas parce que la société Allemandes est contrôlée par des technocrates et ingénieurs (qui cherche des solutions pour le collectif) alors que la France est contrôlée par des Enarques ou des avocats (qui cherchent le pouvoir et la victoire individuelle) ? On peut noter aussi noter que plus les politiques sont prêts des problèmes des individus (comme les maires de petites villes) et de la réalité du terrain plus leurs actions sont orientées vers le collectif.

La solution: L'action politique (direction comme syndicalisme) ne doit pas être un métier ce qui conduit à terme à ne penser qu'à rendre sa fonction pérenne (en aboyant le plus fort) et à ne pas chercher l'efficacité de sa mission. Il faut des personnes plus pragmatique missionnée pour une action à la tête du pouvoir pour de courtes durées. Ces politiques ne seraient alors là que pour trouver des solutions aux problèmes de leur pays mais pour trouver des compromis qui équilibreraient et donneraient de la constance à l'action politique. Par ailleurs, l'absence de volonté de contrôler le pouvoir pour le conserver doit permettre d'instiller plus de subsidiarité dans les systèmes et donc de confiance. La discussion pour trouver un compromis aurait par ailleurs une vertu civique. C'est donc une série de mauvaises mœurs politiques à changer. En sommes-nous capables et à quelle échelle de temps?

Ces solutions reposent malheureusement sur une prise de conscience et un changement en profondeur de la société Française. L'évolution sera lente mais bien meilleure que de sombrer dans le radicalisme.